Lignum Holzwirtschaft Schweiz

Réutilisation du bois de structure: Un engagement pour un avenir durable

Le thème du réemploi est aujourd’hui mis en avant dans tous les secteurs pour limiter autant que possible la dépense énergétique liée à la fabrication de nouveaux objets. Acheter un vêtement de seconde main, une voiture d’occasion ou un téléphone reconditionné sont autant de gestes qui s’installent dans notre quotidien sans grande difficulté. Qu’en est-il du réemploi des matériaux de construction et en particulier du bois ? Dans cet article, nous rappelons l’intérêt et la faisabilité du réemploi dans la construction et nous détaillons les outils existants pour réussir un projet de ce type dans le respect des normes en vigueur et sans risque.

Les grandes arches en bois de l’ancienne patinoire de Porrentruy, d’une portée de 24 mètres, ont trouvé une nouvelle vie en retournant sur les lieux de leur conception à Vendlincourt. Le Groupe Corbat qui avait perdu sa halle suite à un incendie, a pu reconstruire et réutiliser ces éléments qui assument leur demi-siècle d’existence
Image Groupe Corbat 


Aujourd’hui, les constructions neuves ou assainies permettent de fortement limiter notre dépense énergétique due à l’exploitation du bâtiment. En conséquence, la part de l’énergie grise – énergie nécessaire à la fabrication des matériaux - augmente significativement dans le bilan global. Il est donc primordial dans le cadre de projets de constructions neuves ou de rénovations de considérer cet impact et pour le limiter, de recourir à des matériaux à faible énergie grise comme le bois et les matériaux biosourcés. Les matériaux recyclés ou encore mieux, réutilisés, permettent aussi d’influencer cette part du bilan énergétique.
 

Comparatif de plusieurs catégories de bâtiments – anciens, neufs, rénovés.
Tableau tiré du livre « Bois et réhabilitation de l’enveloppe »


Il existe plusieurs niveaux de réutilisation des matériaux avec des définitions spécifiques. Le réemploi (en anglais reuse) est une opération qui permet à des biens, qui ne sont pas des déchets, d’être utilisés à nouveau sans qu’il n’y ait de modification de leur usage initial : une porte reste une porte. La réutilisation est une opération qui permet à un élément d’être utilisé à nouveau en détournant éventuellement son usage initial : une porte devient une table, une solive devient un poteau porteur, etc.

Enfin, le recyclage est l’opération par laquelle la matière première d’un matériau est utilisée pour fabriquer un nouvel objet : du bois massif est transformé en lamelle puis recollé pour fabriquer une poutre en lamellé-collé (up-cycling) ou des éléments en lamellé-collé sont utilisés pour la fabrication de panneaux de particules (down-cycling). Cette opération permet de prolonger encore la durée de vie d’un élément bois avant son utilisation à des fins énergétiques pures, donc de stocker plus longtemps encore le carbone dans la matière.

Le bois est une ressource renouvelable, pourquoi chercher à être encore meilleur en réemployant des éléments construits ?
La forêt suisse constitue un modèle de gestion durable de cette ressource qu’est le bois. Seule la moitié de l’accroissement annuel de la forêt est récoltée, offrant donc chaque année, une réserve potentielle d’exploitation supplémentaire de près de 2.8 mio de mètres de cube de bois sans modification de l’équilibre actuel.

Représentation des volumes de bois dans les forêts suisses. *Valeurs et facteurs d’adaptation des volumes selon Annuaire La forêt et le bois 2021 OFEV
Image: Cedotec / cadwork, graphisme Valérie Bovay


Ainsi, du point de vue des ressources primaires, la forêt suisse a encore beaucoup à offrir avec une superficie globale qui ne cesse d’augmenter d’environ 4000 hectares/an, depuis plus d’un siècle. C'est ce qui la démarque des autres matériaux issus des gravières ou carrières qui eux, ne se renouvellent pas ou nécessitent pour leur fabrication une énergie fossile non renouvelable.

Le matériau bois de construction, même issu de la filière classique sans considérer d’effort particulier ou supplémentaire de réutilisation, est donc un matériau exemplaire à très faible impact qui offre des solutions pour le défi environnemental actuel. Cependant, cela n’empêche pas la recherche de solutions supplémentaires pour continuer à améliorer son bilan carbone, en activant de nouvelles pistes. Le recours à la réutilisation et au réemploi d’éléments de construction se justifie d’autant plus que les modes de construction usuels dans la filière bois sont facilement compatibles avec les principes de démontage, réemploi, réutilisation ou recyclage. Ainsi l’effort à fournir lors de la planification d’une nouvelle construction bois pour garantir un bénéfice futur en fin de vie du bâtiment ou au moment d’une rénovation, en rendant possible le réemploi, est très faible en comparaison avec d’autres méthodes de construction. Il est important de rappeler cette évidence.

C’est facile
Démonter et réutiliser un élément bois d’une ancienne construction c’est facile et ne nécessite que peu d’énergie, au contraire de beaucoup d’autres matériaux communs (verre, béton, acier etc.). Couper une pièce de bois se fait avec une quelconque scie ou tronçonneuse. Dévisser un écrou ou arracher un clou sont aussi des gestes simples. La construction bois est donc dans sa grande majorité réversible et réutilisable. Bien sûr il y a des éléments qui nécessitent plus d’étapes de récupération, comme les parquets collés ou les éléments mixtes bois-béton, mais dans l’ensemble, une poutraison, une charpente ou une ossature sont des éléments qui peuvent sans grande difficulté être démontés en vue d’un réemploi à l’identique ou en vue d’une réutilisation appropriée. Pour les autres éléments non récupérables, on pourra encore imaginer les recycler ou achever leur cycle de vie avec une dernière valorisation à des fins énergétiques, qui constitue l’atout final de l’utilisation du bois en cascade.

L’économie circulaire dans le secteur de la construction se caractérise par le fait que les matériaux et les éléments de construction sont utilisés aussi longtemps que le processus de vieillissement naturel n’a pas d’influence négative sur les propriétés du matériau ou de l’élément de construction, ce qui est le cas du bois mis en oeuvre dans les règles de l’art qui dure des décennies, voire des siècles.

Lignatec 36/2023 - Réutilisation du bois de structure – schématisation du cycle de vie avec une part de réemploi dans la construction bois.


Ça se calcule
Dans la norme SIA 269/5 maintenance des structures porteuses en bois et dans le Lignatec 31 dédié, on trouve toutes les bases pour les vérifications statiques des éléments bois anciens.

De plus, contrairement à d’autres matériaux industriels, il n’y a pas de différences de résistance entre du bois massif ancien et du bois massif neuf. Des études menées sur le pin, l’épicéa et le chêne dès les années 1980 sur des échantillons ayant un âge compris entre 60 et 200 ans indiquent que le bois conservé dans des conditions sèches ne subit pratiquement aucun changement concernant ses propriétés de résistance. Il est donc possible pour du bois massif non endommagé d’être classé conformément aux critères de tri en vigueur pour le bois massif neuf (les normes SN EN 14081-1, SN EN 912 ou SIA 265/2 s’appliquent pour le classement selon la résistance et le tri visuel des bois en Suisse).

Pour les éléments en bois collés il est intéressant de pouvoir se référer aux normes en vigueur lors de la construction (depuis 1953, il existe des normes spécifiques en Suisse). On veillera aussi à bien respecter la classe d’humidité (intérieure/extérieure) selon le type de colle utilisée.

Quelques précautions d’usage
Seuls certains produits de préservation du bois utilisés avant 1990 pourraient freiner une réutilisation au sens de l’annexe 1 de l’ordonnance du DETEC concernant les mouvements de déchets (code de déchet 17 02 98 [ds]). Ainsi on veillera, en cas de doute, à prélever un échantillon de surface des éléments bois concernés (2-3 mm) pour une analyse en laboratoire afin de détecter d’éventuels traitements de surface organohalogènes (p. ex. les revêtements en PVC) ou des traces de peintures au plomb. Les éléments de construction en bois traités en profondeur avec des produits chimiques de préservation (p. ex. imprégnation en autoclave), nécessiteront une attention particulière.

Une étude menée dans le canton de Zürich a révélé que seuls 10% des bâtiments construits entre 1950 et 1990 ont été traités avec des produits contenant des PCP. Ainsi le risque est faible mais il doit être évalué en cas de doutes. Pour tous les éléments postérieurs à 1990, on peut considérer que les matériaux ne contiennent pas ces produits de préservation problématiques pour une réutilisation.
Tout processus de réemploi nécessite la mise en place de procédures d’assurance qualité quelque ce soit le matériau concerné et il est important de pouvoir consulter les documents faisant état de la technique. Le Lignatec 36/2023 « Réutilisation de bois de structure » représente une source documentée d’informations sur ce thème pour la filière bois.

Cas particulier de la mise sur le marché
Le cas particulier de la mise sur le marché par un circuit de « commerce de produits standardisés », par opposition au réemploi direct lié à un projet spécifique, est quelque peu plus contraignant car il entre dans le cadre de la loi sur les produits de construction. Dans ce cas, il convient, pour des éléments porteurs, d’effectuer un triage de la résistance par une entreprise certifiée qui établit la déclaration de performance. Il existe des moyens de tests non destructifs comme le Sylvatest qui utilise la mesure de propagation des ultrasons dans les pièces de bois existantes pour en déterminer la résistance.

Exemple de mesure non destructive de la résistance des bois
Le Sylvatest 4 permet d’évaluer les propriétés mécaniques du bois par le biais de mesures longitudinales (dans le sens des fibres du bois). Les mesures s’appliquent tant à du bois équarri (sciages, bois collé) qu’à du bois rond (billons). Le Sylvatest 4 est l’outil indispensable pour les experts en constructions bois. Il permet de déterminer la classe de résistance mécanique de planchers, charpentes ou tout autre élément structurel en bois, tant pour les bâtiments historiques que pour les plus récents (lamellé-collé etc.) selon les normes en vigueur (EN 338 pour l’Europe).
 

Sylvatest est une technologie basée sur la mesure de la vitesse de propagation d’ondes ultrasonores basses fréquences pour l’évaluation la qualité du bois.
Image: cbs-cbt

 

Quid des pièces métalliques ?
Pour la réutilisation d’éléments en acier, il conviendra de se référer au document Steeldoc 02/2023 de l’association SZS (Stahlbau Zentrum Schweiz) et à la norme SIA 269/3 concernant la maintenance des structures porteuses – structures en acier. L’évaluation technique des éléments de construction en acier réutilisés est particulièrement exigeante et des aspects particuliers doivent être pris en compte dans le cadre de l’assurance qualité. Il convient par exemple, de déterminer les propriétés mécaniques et de résistance des aciers anciens qui diffèrent parfois de manière significative de celles des aciers de construction récents (cf. tests d’aptitude sur des échantillons de 5 à 6 cm prélevés sur les éléments dans des zones non critiques pour associer à l’élément une classe de résistance selon SIA 269/3). Il est aussi nécessaire d’analyser la fonction de surface afin d’en évaluer la protection résiduelle (galvanisation à chaud par exemple) ainsi que de déterminer la présence ou non de polluants comme du zinc, du plomb du chrome ou des PCB.

Conclusion
Le réemploi des matériaux de construction contribue non seulement à la réduction de l'empreinte carbone, mais favorise également la préservation du patrimoine et stimule l'innovation dans le secteur de la construction. En Suisse, environ 10 bâtiments sont démolis chaque jour, ce qui crée prêt de 17 mio de mètres cubes de déchets chaque année dont environ 1 mio de tonnes de déchets bois. Il existe donc une énorme quantité de matériaux qui pourraient être réutilisés dans le sens du développement durable et d’une économie circulaire respectueuse des ressources.

Favoriser les rénovations et le travail sur l’existant reste une piste majeure pour éviter d’utiliser des matériaux non nécessaires mais ce n’est pas toujours possible. Ainsi en cas de démolition programmée il est encore possible d’avoir un impact fort sur le bilan énergétique d’une construction en faisant en sorte d’améliorer les filières de recyclage à l’échelle du projet, de favoriser des filières de valorisation des matériaux non conservés et de retarder la valorisation énergétique des éléments démontés en proposant une solution de réutilisation.

Dans tous ces domaines, le matériau bois offre des avantages indéniables qui en font le premier choix lorsque les critères environnementaux sont pris en compte. 

Lien: Lignatec 36/2023 Réutilisation du bois de structure


Pour plus de renseignements: 
Cedotec, Office romand de Lignum
021 652 62 22
info(at)cedotec.ch 

Article du service technique du Cedotec Office romand de Lignum paru dans l'IDB no 11 de novembre 2023 de la FRECEM. Texte Lucie Mérigeaux.